En janvier 2017, nous terminions notre étude Noir Jaune Blues par le constat que nos sociétés vivaient une mutation profonde : nous quittions des sociétés très intégrées notamment par des institutions créditées d’une confiance élevée et nous allions vers des paysages fragmentés, atomisés, pulvérisés.
Nous étions au pied du mur et seules deux voies étaient possibles.
Soit nous bifurquions vers « une gouvernance autoritaire fondée sur l’exclusion », donc un monde de murs, de frontières, de barbelés, de replis, de défiances de tous à l’égard de tous, de xénophobies, de risques de nihilisme, de désespoirs, d’inégalités sociales croissantes, de soumissions, de violences obscurantistes. Un archipel qui est une juxtaposition de communautés « pures » fermées les unes à l’égard des autres. L’émergence de pouvoirs forts qui ne doivent pas rendre de compte au nom d’une supposée « efficacité » des modèles autoritaires.
Soit nous bifurquions vers « la renaissance », c’est-à-dire un monde ouvert mais qui invente, refonde la démocratie, les institutions, l’économie, qui crée un nouvel universalisme qui intègre les différences. Une société composée d’individus qui se battent contre toutes les dominations au nom du droit universel à la dignité ( la leur et celle des autres). Des individus qui tentent de devenir sujets c’est-à-dire qui acquièrent une réelle capacité d’agir en se considérant individuellement et collectivement en charge de l’avenir. Qui pensent le long terme.
L’étape suivante dans notre démarche de recherche a logiquement été de mesurer, dans l’espace belge, l’ampleur des aspirations dans l’une et l’autre voie.
Et d’en appréhender régulièrement l’évolution et la dynamique.
Ces deux fleuves souterrains sont : les aspirations à la retribalisation VS les aspirations à la fondation de sociétés ouvertes.
Chacun de ces champs d’aspirations a été décomposé en 5 dimensions :
- le type de gouvernance souhaitée,
- la nature de la nation souhaitée,
- la rhétorique appréciée,
- le temps valorisé,
- le rapport à la figure du bouc émissaire,
La vague 1 s’est déroulée juste avant les confinements liés à la pandémie du Covid, soit en février 2020
La vague 2 a été réalisée en octobre 2021 après les longs confinements, ce qui a permis de mesurer l’impact de ceux-ci sur les aspirations des individus.
La vague 3 en juillet 2022, soit après le déclenchement de la guerre en Ukraine, la montée en flèche de l’inflation et des chocs climatiques ( sécheresse, canicule ) ainsi que la poursuite à bas bruit de la pandémie de covid.
La vague 4 en août-septembre 2023, soit durant une période marquée par la poursuite de la guerre en Ukraine dont l’issue demeure incertaine et surtout un été qui a prouvé à tous que le dérèglement climatique était désormais bien présent et avait déjà des impacts catastrophiques ( dômes de chaleur, sécheresse, incendies géants, etc.).
Nous sommes donc en mesure d’appréhender, de mesurer et de tenter de comprendre ce que les récents chocs exogènes puissants ( covid et confinements, dérèglements climatiques, guerre, inflation ) ont changé dans les aspirations des individus.
Les rapports des vagues successives présentent ces impacts sur les imaginaires collectifs. Ils se veulent des outils pour l’action pour tous ceux qui luttent pour bâtir des sociétés ouvertes et conjurer les avancées des populistes identitaires qui appellent à la retribalisation.