En cet automne 2024, des profondeurs du psychisme de chacun affleurent des émotions négatives. Nos météos intimes sont assez sombres. Le trio des émotions qui tenaillent : les inquiétudes, les incertitudes et la fatigue. Des passions tristes qui engluent et enferment.
Ce qui affecte surtout est un profond sentiment d’abandon, de mépris, de manque de considération, de reconnaissance, de respect de la part des dirigeants politiques perçus comme « ne nous connaissant pas, n’ayant aucune empathie pour nous ». Et ne prenant pas les mesures « pour nous protéger ». Notamment, la perception que les élections ne conduiront pas à des améliorations… donc « y a-t-il encore un pilote dans l’avion? ». Qui a réellement la capacité d’agir sur les périls que nous ressentons ? Un solide désenchantement, un désamour à l’égard du système politique. La CONFIANCE est rompue, or elle est indispensable pour « faire société ».
Plus on évoque des réalités éloignées de l’individu ( soi-même puis la Région, le Fédéral, l’Europe et enfin le monde ), plus y sont associées exclusivement des émotions fortement négatives ( inquiétude, peur, désespoir, angoisse, colère, etc.). Par exemple, pour la perception de soi-même, 46% des individus évoquent au moins une émotion positive ( espoir, satisfaction, confiance, sérénité, etc.) et 84% au moins une émotion négative(1), mais à l’autre extrémité c’est-à-dire pour la perception de l’état du monde, seuls 11% évoquent au moins une émotion positive et 93% ressentent au moins une émotion négative !
Ce contexte politico-sociétal se répercute comme un poison lent qui s’insinue dans les recoins de l’intimité de nos vies, alimente des ressentiments, des passions tristes qui enferment. Et conduit à aspirer à une gouvernance autoritaire, à vivre dans une nation homogène, à apprécier une rhétorique qui exprime brutalement avec outrances, insultes et menaces « mes ressentiments, mes peurs, mes colères », à revenir vers un passé – que l’on a tendance à fortement mythifier -, où aurait régné « un ordre naturel et immuable des choses », à désigner des boucs-émissaires pour établir clairement un « eux et nous », en identifiant des « coupables ».
Bref, ces inquiétudes, ces peurs et cette colère latente conduisent à aspirer au fleuve souterrain de la « retribalisation ». En cet automne 2024, c’est le cas de près de six individus sur dix : 56,6%. Par rapport à l’an dernier, quasi-stabilité de ce nombre mais qui demeure à un niveau très élevé ( en 2023 ils étaient 57,4%). Ceux qui aspirent à l’inverse, c’est-à-dire à fonder des sociétés ouvertes sont trois fois moins nombreux et par rapport à l’an dernier, ils arrêtent légèrement leur érosion, ils sont désormais 19,3% ( en 2023 ils étaient 18,2%). Les autres sont des « oscillants », des « ambivalents », ils représentent 24,1%.
Par rapport à 2023, stabilisation des aspirations :
- la croissance régulière et forte de l’adhésion à l’aspiration à la retribalisation que l’on observait depuis 2020 est à présent stabilisée mais à un niveau élevé : près de 6 individus sur 10 (56,6%). Néanmoins, une des dimensions de ce champ d’aspirations, le souhait d’une gouvernance autoritaire, augmente encore ( en 2023, 65,3% y aspiraient, en 2024, c’est le cas de 69,2% ).
- l’érosion de l’adhésion à l’aspiration à la fondation de sociétés ouvertes qu’on observait depuis 2021 est à présent arrêtée mais à un niveau très bas : 2 individus sur 10 ( 19,3%).
Le fond de l’air de la « météo sociétale » est clairement vers l’aspiration à la retribalisation.
Une certaine offre politique qui se propage actuellement partout, celle des « entrepreneurs en ressentiments », y répond. Notamment en présentant une image d’énergie qui crée le sentiment « qu’eux vont nous protéger », « qu’eux auront, grâce à leur énergie, la capacité d’agir sur le cours des choses ». Versus les élites traditionnelles perçues comme faibles, molles, ne protégeant pas, ne « connaissant pas nos vies » et sans volonté ou capacité d’agir réellement. L’aspiration à la gouvernance autoritaire pour « ne plus se sentir abandonné et être protégé » a du vent dans les voiles.
En fin de parcours, nous montrerons que la mise en perspective de cette actualité dans la temporalité longue permet d’envisager vers où, au-delà de la marche au bord de l’abîme, cette mutation sociétale profonde peut nous conduire. Un horizon possible. Antonio Gramsci nous y aide. Et ainsi il devient possible de hiérarchiser les actions et de leur donner un sens c’est-à-dire une signification.
Pour aller plus loin, parcourez le rapport complet de cette étude.